24

VERS la fin de l’hiver Allart croisa Cassandra dans l’escalier conduisant à l’aile sud du château d’Aldaran, où, en cette saison, les femmes passaient une grande partie de leur temps dans les serres exposées au soleil d’hiver.

« Il fait un temps superbe. Viens donc te promener avec moi dans la cour. Je te vois si peu, ces jours-ci ! » dit-il, puis en riant, il se reprit : « Mais non, tu ne peux pas…, cet après-midi c’est la fête dans les appartements des femmes, pour Dorilys, n’est-ce pas ? »

Tout le monde au château savait que, durant la dernière quinzaine, Dorilys avait montré les premiers signes de sa puberté, une occasion officielle de réjouissances. Au cours des trois derniers jours, elle avait distribué ses jouets, ses poupées, ses vêtements d’enfant préférés aux enfants du château. L’après-midi, ce serait parmi les femmes la cérémonie privée, quasi religieuse, témoignant qu’elle abandonnait la compagnie des enfants et entrait dans la société des femmes.

« Je sais que son père lui a envoyé un cadeau spécial, dit Allart.

— Oui, et je lui brode des galons pour un nouveau fourreau.

— Au fait, que se passe-t-il dans ces réunions de femmes ? »

Cassandra rit gaiement.

« Ah ! il ne faut pas me demander cela, mon époux ! » s’exclama-t-elle puis, feignant le plus grand sérieux : « Il y a des choses que les hommes n’ont pas à savoir.

— Voilà une phrase que je n’ai pas entendue depuis que j’ai quitté la compagnie des cristoforos ! Et je suppose que nous n’aurons pas non plus ta compagnie au dîner ?

— Non. Ce soir, les femmes dîneront ensemble pour leur fête. »

Il se courba pour lui baiser la main.

« Transmets mes félicitations à Dorilys, alors », dit-il et il sortit tandis que Cassandra, en se tenant prudemment à la rampe – son genou allait un peu mieux mais elle avait encore du mal à gravir les marches – montait vers la serre.

Les femmes y passaient beaucoup de temps en hiver, à cause de l’exposition ensoleillée. Ces salles étaient pleines de plantes fleurissant à la lumière de réflecteurs solaires et durant les dix derniers jours, en prévision de la fête, on avait apporté des branches d’arbres fruitiers en fleurs pour la décoration. Margali, en qualité de léronis de la maison et de mère nourricière de Dorilys, était chargée des cérémonies. La plupart des femmes du château étaient là, les épouses des intendants, des chevaliers et d’autres vassaux, la suite de Dorilys, quelques-unes de ses servantes favorites et ses nourrices, gouvernantes et maîtresses.

Elle fut d’abord conduite à la chapelle où une de ses mèches de cheveux fut coupée et déposée sur l’autel d’Evanda, avec des fruits et des fleurs. Ensuite, Margali et Renata la baignèrent – Cassandra, la personne du rang le plus élevé parmi les invitées, avait été priée d’assister à ce rituel – et elle fut entièrement habillée de neuf, puis coiffée à la manière d’une dame. Margali, en contemplant sa petite fille, la trouva bien différente du jour, il y avait moins d’un an, où elle s’était déguisée en vêtements de femme pour ses fiançailles.

Un des buts de cette fête avait été, dans les temps anciens, de faire pour la nouvelle venue dans la communauté des femmes, tout ce dont elle aurait besoin dans sa vie d’adulte ; c’était un reliquat de temps plus durs dans les montagnes. C’était encore, traditionnellement, une réunion où les femmes apportaient leur ouvrage et toutes faisaient au moins quelques points de broderie sur les objets destinés à celle que l’on honorait. Alors qu’elles cousaient, la harpe passait de main en main, chacune devant chanter, raconter une histoire, distraire les autres. Elisa avait fait apporter de la salle d’études la grande harpe et elle chanta des ballades de la montagne. Toute une variété de friandises furent servies, parmi lesquelles les douceurs préférées de Dorilys, mais Renata remarqua qu’elle les grignotait sans plaisir.

« Qu’as-tu, chiya ? »

Dorilys passa une main sur ses yeux.

« Je suis fatiguée et j’ai mal aux yeux. Je n’ai pas faim.

— Allons, allons, il est trop tard pour ça ! Il y a deux ou trois jours, tu pouvais avoir des migraines et des vapeurs si tu le voulais ! Tu devrais être complètement remise maintenant », taquina une des femmes et elle se pencha pour examiner la toile fine sur les genoux de Dorilys. « Qu’est-ce que tu brodes, Dori ?

— Une chemise de fête pour mon mari », répondit-elle avec dignité et elle tourna son poignet pour montrer le bracelet des catenas.

Renata qui l’observait ne sut si elle devait rire ou pleurer. Une occupation de jeune mariée si traditionnelle, et le mariage de l’enfant ne pourrait jamais être qu’une parodie ! Enfin, elle était encore bien jeune et cela ne lui ferait pas de mal de broder une chemise pour le grand frère qu’elle aimait et qui était, aux yeux de la loi, son mari.

Elisa acheva sa ballade et se tourna vers Cassandra.

« C’est votre tour. Voulez-vous nous faire le plaisir de chanter, dame Hastur ? » demanda-t-elle respectueusement.

Cassandra, intimidée, hésita puis elle comprit que si elle refusait on pourrait croire qu’elle considérait cette réunion comme indigne d’elle.

« Avec plaisir, mais je ne sais pas jouer de la grande harpe, Elisa. Si quelqu’un voulait me prêter un rryl… »

Quand l’instrument plus petit eut été apporté et accordé, elle chanta, d’une douce voix un peu voilée, deux ou trois chansons des plaines de Valeron, si lointaines. Elles étaient nouvelles, pour les femmes des montagnes, qui en réclamèrent d’autres, mais elle secoua la tête.

« Une autre fois, peut-être. C’est à Dorilys de chanter pour nous et je suis sûre qu’elle a hâte d’étrenner son nouveau luth. »

Le luth, un bel instrument doré et peint, orné de rubans, était le cadeau du seigneur d’Aldaran à sa fille, offert à cette occasion pour remplacer le vieux, celui de sa mère, sur lequel elle avait appris à jouer.

« Et je suis sûre qu’elle sera heureuse de se reposer de la couture ! » ajouta Cassandra.

Dorilys leva des yeux apathiques de son ouvrage.

« Je n’ai pas envie de chanter. Veux-tu m’excuser, ma cousine ? » murmura-t-elle et elle se passa la main sur le front, se frotta les yeux. « J’ai mal à la tête. Faut-il que je couse encore ?

— Non, mon petit cœur, si tu ne le veux pas, mais nous cousons toutes, ici », dit Margali.

Dans son esprit, surgit une image gentiment amusée, que Renata et Cassandra purent nettement saisir, de Dorilys toujours prête à avoir la migraine quand il s’agissait de faire sa couture détestée.

« Comment oses-tu dire ça de moi ? cria Dorilys en froissant la chemise et en la jetant sur le sol. Je me sens vraiment mal, je ne fais pas semblant ! Je ne veux même pas chanter et j’ai toujours envie de chanter… »

Sur ce, elle fondit en larmes. Margali la regarda avec stupeur et consternation. Mais je n’ai pas ouvert la bouche ! Dieux tout-puissants, l’enfant est-elle télépathe aussi ?

« Viens là, Dorilys, intervint avec douceur Renata, viens t’asseoir à côté de moi. Ta mère nourricière n’a pas parlé : tu as lu ses pensées, voilà tout. Il n’y a pas de quoi te désoler. »

Mais Margali n’avait pas l’habitude de se surveiller devant Dorilys. Elle avait fini par croire que l’enfant n’avait pas la moindre once de pouvoir télépathique, et elle ne put retenir la rapide pensée qui lui vint à l’esprit. Miséricordieuse Avarra ! Cela, aussi ? Les premiers enfants du seigneur d’Aldaran sont morts ainsi en entrant dans l’adolescence, et maintenant cela commence pour elle !

Atterrée, Renata tenta de voiler les pensées mais il était trop tard ; Dorilys les avait déjà lues. Ses sanglots se turent et elle regarda Renata, figée d’horreur.

Ma cousine ! Vais-je mourir ?

« Non, certainement pas, répondit fermement Renata à haute voix. Pourquoi penses-tu que nous t’avons formée et instruite, sinon pour te rendre plus forte en prévision de ces épreuves ? Je ne l’attendais pas tout à fait aussi tôt, c’est tout. Maintenant, n’essaye plus de lire dans les pensées d’autrui ; tu n’en as pas la force. Nous t’apprendrons à les chasser et les contrôler. »

Mais Dorilys ne l’entendait pas. Elle les regardait fixement, prise d’une panique folle, en leur renvoyant le reflet de leurs pensées dans ce premier moment dont l’intensité la terrifiait. Elle se tourna de tous côtés comme un petit animal pris au piège, bouche bée, les yeux si grands ouverts que le blanc se voyait autour de l’iris à la pupille contractée.

Margali se leva pour aller la prendre dans ses bras et la réconforter. Dorilys était debout, rigide, pétrifiée, inconsciente de la caresse, incapable de percevoir autre chose que la ruée massive des sensations. Quand Margali voulut la soulever, la porter, elle frappa inconsciemment, si violemment que la vieille femme alla s’écrouler contre le mur. Elisa se précipita pour l’aider à se relever mais Margali resta assise, choquée et consternée.

Se tourner contre moi ainsi…, contre moi !

« Elle ne sait pas ce qu’elle fait, Margali, expliqua Renata. Elle ne sait rien. Je peux la tenir, moi », ajouta-t-elle en tendant son esprit pour maintenir Dorilys immobile comme elle l’avait fait la première fois qu’elle l’avait défiée, « mais c’est assez grave. Il faut lui donner du kirian. »

Margali alla chercher le remède et Elisa, sur un mot de Renata, demanda aux invitées de partir. Trop d’esprits autour d’elle ne pourraient que troubler et effrayer plus encore Dorilys. Elle devait ne rester qu’en présence des quelques personnes en qui elle avait confiance. Quand Margali revint avec le kirian, il n’y avait plus dans la salle que Renata et Cassandra.

Renata s’approcha de Dorilys, essaya d’entrer en contact avec la jeune fille terrifiée, enfermée dans un cocon de panique. Au bout d’un moment, elle se mit à respirer plus normalement, ses yeux perdirent leur fixité horrible. Quand Margali porta à ses lèvres le flacon de kirian, elle avala la potion sans protester. Elles l’allongèrent et l’enveloppèrent dans une couverture ; mais quand Renata s’assit à côté d’elle pour la sonder elle poussa de nouveaux cris de terreur.

« Non, non, ne me touche pas, non ! »

Un coup de tonnerre assourdissant éclata au-dessus des tours du château, puis un autre.

« Chiya, je ne te ferai pas de mal, voyons. Je veux seulement voir…

— Ne me touche pas, Renata ! glapit Dorilys. Tu veux que je meure, comme ça, toi tu pourras avoir Donal ! »

Choquée, Renata recula. Jamais une telle pensée ne lui avait traversé l’esprit, mais Dorilys avait-elle pu plonger à un niveau qu’elle-même ignorait ? Repoussant farouchement tout sentiment de culpabilité, elle tendit les bras vers la jeune fille.

« Non, ma chérie, non. Regarde… Tu peux lire mes pensées si tu veux voir que c’est ridicule. Je ne veux rien de plus que ton bien-être, que tu retrouves la santé. »

Mais Dorilys claquait des dents et elles comprirent qu’elle n’était pas en état d’écouter la voix de la raison. Cassandra vint prendre la place de Renata.

« Renata ne te ferait jamais de mal, chiya, nous ne voulons pas non plus que tu te bouleverses. Je suis une surveillante aussi. Je vais te sonder. Tu n’as pas peur de moi, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle et elle ajouta, en s’adressant à Renata : « Quand elle sera calmée, elle saura la vérité. »

Renata s’écarta, encore tellement horrifiée par la soudaine attaque de Dorilys qu’elle était presque incapable de penser rationnellement. A-t-elle perdu la raison ? Est-ce que la maladie du seuil provoque aussi la folie ? Elle s’était préparée à ce que Dorilys manifestât une jalousie normale de jeune sœur, parce que Donal n’était plus uniquement à elle ; elle ne s’était pas du tout attendu à une telle intensité d’émotion.

Maudit soit ce vieux fou, s’il l’a poussée à croire que ce mariage serait une autre chose qu’une parodie ! Bien que Renata eût espéré révéler bientôt à Donal qu’elle portait son fils – car maintenant elle en était certaine et elle avait sondé l’embryon à fond pour s’assurer qu’il n’était pas porteur de gènes mortels – elle comprit qu’elle devrait garder le secret encore un moment. Si Dorilys était malade et instable, cette nouvelle ne pourrait que la blesser davantage.

Cassandra se livra au sondage ; puis quand le kirian commença à faire son effet et à affaiblir les résistances de Dorilys contre l’apparition de cette nouvelle faculté qui l’affolait tant, elle se calma et sa respiration devint plus régulière.

« C’est passé », dit-elle enfin, le visage calme, les battements de son cœur redevenus normaux, ne conservant plus que le souvenir de sa panique. « Est-ce… est-ce que ça recommencera ?

— Probablement », répondit Cassandra puis elle apaisa vite la nouvelle frayeur de la jeune fille : « Cela deviendra moins bouleversant pour toi quand tu t’y habitueras. À chaque fois, ce sera plus facile, et quand tu seras complètement formée, tu pourras t’en servir comme de ta vue, pour regarder ce que tu veux, près ou loin, et écarter tout ce que tu ne veux pas.

— J’ai peur, souffla Dorilys. Ne me laissez pas seule.

— Non, mon agneau, promit Margali. Je dormirai dans ta chambre tant que tu auras besoin de moi.

— Je sais que Margali a été une mère pour toi et que tu la veux auprès de toi, intervint Renata, mais vraiment, Dorilys, je suis plus au fait de ces problèmes et je pourrai mieux t’aider, si tu en as besoin les nuits prochaines. »

Dorilys tendit les bras et Renata s’y jeta. La petite fille cacha sa figure contre son épaule.

« Je regrette, Renata. Je ne le pensais pas. Pardonne-moi, ma cousine…, tu sais que je t’aime. Je t’en prie, reste avec moi.

— Bien sûr, ma chérie, dit Renata en la serrant contre son cœur. Je sais, je sais. Moi aussi, j’ai eu la maladie du seuil. Tu as eu peur, et toutes sortes de pensées folles se sont précipitées à la fois dans ton esprit. C’est difficile à contrôler, quand cela vous vient si subitement. Désormais, nous devons travailler un peu chaque jour avec ta matrice, pour t’aider à les contrôler ; parce qu’il faut que tu sois préparée, quand cela te reviendra. »

J’aimerais que nous puissions l’avoir dans une tour ; elle y serait plus en sécurité, et nous tous aussi, pensa-t-elle. Elle sentit Cassandra exprimer le même vœu alors que le tonnerre éclatait de nouveau et que la foudre crépitait tout autour du château.

 

Dans la grande salle, Allart entendit le tonnerre et Donal aussi. Donal ne pouvait jamais l’entendre, où que ce fût, sans penser à Dorilys ; et don Mikhail suivit manifestement ses pensées.

« Maintenant que ta jeune mariée est devenue femme, tu peux t’occuper d’engendrer un héritier. Si nous savons qu’il doit y avoir un fils de sang Aldaran, alors nous serons prêts à défier Scathfell quand il nous attaquera… et le printemps arrive », dit Aldaran avec un sourire farouche.

Donal grimaça de dégoût et don Mikhail le regarda en fronçant les sourcils.

« Par les enfers de Zandru ! Je ne m’attends pas à ce qu’une enfant aussi jeune éveille beaucoup ton désir ! Mais quand tu auras rempli ton devoir envers ton clan, tu pourras avoir toutes les femmes que tu veux. Personne ne te le déniera ! L’essentiel, maintenant, est de donner au domaine un héritier di catenas, un fils légitime ! »

Donal fit un geste dépité. Les vieillards sont-ils toujours aussi cyniques ? En même temps, il sentait les pensées de son père adoptif se mêler aux siennes et les renforcer, avec une espèce d’affection bourrue.

Les jeunes gens sont-ils toujours aussi sottement idéalistes ? Mikhail d’Aldaran tendit la main pour prendre celle de son fils adoptif.

« Mon cher petit, réfléchis. L’année prochaine à cette heure, il y aura un héritier d’Aldaran et tu seras le régent légal. »

Alors qu’il parlait, Allart faillit s’exclamer, car son laran le lui montrait clairement. Dans la grande salle où ils étaient assis à présent, il voyait aussi nettement que si la scène se déroulait sous ses yeux don Mikhail, plus vieux, plus voûté, haussant dans ses bras un enfant dans des langes, un nouveau-né, rien qu’un petit ovale rougeaud, une minuscule figure de bébé entre les plis du châle duveteux, et le proclamant héritier d’Aldaran. Les acclamations étaient si bruyantes que, pendant un instant, Allart ne put imaginer que les autres ne les entendent pas. Et puis… tout se dissipa mais il resta profondément troublé.

Donal allait-il donc réellement faire un enfant à sa petite sœur ? Cet enfant serait-il l’héritier d’Aldaran ? Sa vision avait été si claire, sans équivoque ! Donal la capta dans son esprit et le regarda, atterré ; mais un soupçon passa dans les pensées du vieux seigneur et il sourit triomphalement, en voyant dans l’esprit d’Allart l’héritier qui l’obsédait.

À cet instant, Margali et Cassandra entrèrent dans la salle et Aldaran se tourna vers elles avec un sourire bienveillant.

« Je ne pensais pas que vos réjouissances se termineraient si tôt, mesdames. Quand la fille du majordome est devenue femme, on a dansé et chanté jusqu’à minuit passé… Margali, ma cousine, qu’y a-t-il ? » demanda-t-il brusquement.

Il lut rapidement la vérité sur son visage.

« La maladie du seuil ! Miséricordieuse Avarra ! »

Passant soudain de l’ambition et de la paranoïa à l’inquiétude, il ne fut plus qu’un père soucieux.

« J’espérais que cela lui serait épargné, murmura-t-il d’une voix brisée. Le laran d’Aliciane lui est venu très tôt et elle n’a pas eu de crise à la puberté ; il y a une malédiction dans ma semence…, mes fils et ma fille aînés sont morts ainsi… Je n’ai pas pensé à eux depuis des années », ajouta-t-il en baissant la tête.

Allart les vit dans son esprit, renforcés par les souvenirs de la vieille léronis : un garçon brun, rieur, un garçon plus trapu couronné de boucles folles, avec une cicatrice triangulaire au menton ; une délicate petite fille rêveuse, brune, qui, dans le port de tête, avait quelque chose de Dorilys… Allart éprouva en lui-même l’angoisse du père qui les avait vus tomber malades et mourir, l’un après l’autre, leur avenir plein de promesses et leur beauté anéantis. Il vit dans l’esprit du vieil homme une image terrible, ineffaçable, inoubliable ; la petite fille allongée, le corps arqué agité de spasmes, ses longs cheveux emmêlés, les lèvres si sauvagement mordues que sa figure était couverte de sang, les yeux rêveurs devenus ceux d’un animal enragé, fou de douleur…

« Il ne faut pas désespérer, mon cousin, dit Margali. Renata l’a bien entraînée pour qu’elle la surmonte. Souvent, la première attaque de la maladie du seuil est la plus grave ; si elle y survit, le pire est passé.

— Souvent, oui, murmura don Mikhail d’une voix sombre chargée d’horreur. Il en a été ainsi pour Rafaella, un jour riant et dansant et jouant de la harpe, et le lendemain, le lendemain même, elle n’était plus qu’une chose hurlante et torturée, passant de convulsion en convulsion entre mes bras. Quand enfin elle a cessé de se débattre, je ne savais plus si je devais pleurer ou me réjouir qu’elle fût parvenue au bout de ses souffrances… Mais Dorilys a survécu.

— Oui, assura Cassandra avec compassion, et elle n’a même pas eu une véritable crise, don Mikhail. Il n’y a aucune raison de penser qu’elle va mourir.

— Maintenant voyez-vous, père, s’écria Donal avec rage, ce qui me tourmentait ? Avant que nous parlions de la rendre enceinte, pouvons-nous au moins nous assurer qu’elle vivra jusqu’à sa maturité ? »

Aldaran eut un mouvement de recul, comme s’il avait reçu un coup violent. Dans les roulements du tonnerre lointain il y eut soudain un éclatement assourdissant, des grondements, et la pluie se mit à tomber à verse, en crépitant, tombant en nappes, évoquant le bruit de bottes des armées de Scathfell en marche vers eux.

Car maintenant que le dégel de printemps arrivait dans les Hellers, la guerre allait les assaillir.

Reine des orages
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